Marie Dorval 3

Avant de consacrer un article spécifique à Kitty Bell, et à d'autres grands rôles de la comédienne,  retour à la biographie de Marie Dorval:
Pour mémoire, les deux premiers articles sont ici:
- Marie Dorval 1 les débuts

- Marie Dorval 2 vers 1830, premiers succès et entourage:  Vigny Sand

Marie Dorval 1832-1835

En 1831, changement de direction au théâtre de la porte-Saint-Martin, où arrive Harel qui dirigeait alors également l'Odéon . Harel était très lié à Mlle Georges à qui il reserva pendant ces saisons les meilleurs rôles, n'en laissant guère à Marie Dorval. Il la fit jouer d'abord à l'Odéon durant l'hiver 1331-1832, elle reprend ses succès : Les victimes cloîtrées, Antony, Marion Delorme, puis une création : Jeanne Vaubernier, de Rougemont et Lafitte. Marie Dorval, habituée au drame et aux rôles de victimes y apparait comme une aventurière coquette et coquine, ce qui surprend certains de ses admirateurs mais montre l'étendue de ses talents.
La revue des deux Mondes " [elle] est de l'originalité la plus imprévue : sa gaieté sérieuse fait rire sans qu'elle sourcille, par la brusquerie des réparties, le ton, le geste hardi, la franche bonhomie, le laisser-aller de la démarche et toute l'insouciance d'une joyeuse grisette prête à tout ce qu'on veut, pourvu qu'on l'amuse[...] allez l'entendre, et vous verrez comme l'habileté consommée d'une actrice fait quelque chose de rien [...] la meilleure actrice dans la meilleure comédie n'a jamais fait mieux".

Dix ans de la vie d'une femme

Elle crée ensuite en 1832, à la Porte-Saint-Martin,  Dix ans de la vie d'une femme ou les mauvais conseils de Scribe et Terrier, l'histoire de la déchéance d'une jeune bourgeoise qui d'amant en amant, tombe dans le vice et le crime.
Fontaney "Pièce infâme d'indécence. Mme Dorval y joue à merveille".

C'est pendant cette série de représentation qu'elle fut touchée par l'épidémie de choléra qui sévissait alors , elle demeura plusieurs jours dans un état critique, tandis que Mlle Georges occupait le devant de la scène.
Marie Dorval était encore sous contrat avec le théâtre de la Porte-Saint-Martin jusqu'à l'été 1833 et alors qu'Harel ne lui propose pas de nouveaux rôles, elle ne pouvait que patienter... tout en commençant à poser des jalons ailleurs...
La famille va d'ailleurs déménager, en quittant la proximité de la porte Saint-Martin pour la rue saint-Lazare, quartier où habitaient Dubas, Mlle Mars... 


le Mariage de Figaro

Alexandre Dumas aide alors Marie Dorval à ne pas tomber dans l'oubli, elle joue dans des représentations à bénéfices, données en faveur de comédiens, à l'Ambigu, au Vaudeville, à l'Odéon...
 Dans l'une d'entre elle, qui a lieu au Théâtre français, en décembre 1832, elle donne la réplique à Mlle Mars dans le Mariage de Figaro. Mlle Mars se réserve le rôle de Suzanne, tandis que celui de la comtesse revient à Marie Dorval.
Vert-vert " [...]Mme Dorval, si dramatique, si vraie, si passionnée. L'accueil fait par les spectateurs à cette précieuse actrice nous est garant qu'elle est venue là pour prendre possession de ses planches et reconnaître sa place."
Le petit poucet " [elle] n'a pas craint d'affronter la dangereuse rivalité de Mlle Mars", le succès est venu "couronner sa hardiesse".
Les deux comédiennes reprennent le Mariage de Figaro pour une autre représentation à bénéfices, toujours à la comédie française en février 1833.
Le courrier des théâtres : "mme Dorval, dont le jeu décent et passionné s'est noblement vengé de la retraite où on la tient à la Porte-Saint-Martin".
Cette attitude d'Harel ne lui donnant aucun rôle à jouer contribua finalement à renforcer la sympathie de l'opinion envers Marie Dorval
Le voleur, après la création de Lucrèce Borgia par Mlle Georges à la Porte-Saint-Martin "Mlle George ne sait pas saisir toutes les nuances d'un rôle, sa diction est haletante et forcée, elle déclame toujours et fatigue. Nous aurions voulu voir Lucrèce jouée par Mme Dorval, dont la réputation est synonyme de drame. Selon nous, elle eût été plus vraie et plus heureusement énergique que Mlle George".

Côté famille : Gabrielle et Louise

C'est aussi à cette période que débute la liaison entre sa fille Gabrielle et le jeune poète Fontaney, liaison que Marie Dorval n'approuve pas,George Sand , que Marie Dorval rencontre à cette période, raconte dans Histoire de ma vie cet épisode:
"[Marie Dorval]  se consolait dans l'espoir du bonheur de ses filles : mais l'une d'elles brisa son cœur.  Gabrielle avait seize ans ; elle était d'une idéale beauté. Je ne la vis pas trois fois sans m'apercevoir qu'elle était jalouse de sa mère et qu'elle ne songeait qu'à secouer son autorité. Madame Dorval ne voulait pas entendre parler de théâtre pour ses filles. « Je sais trop ce que c'est ! » disait-elle ; et dans ce cri il y avait toutes les terreurs et toutes les tendresses de la mère. [...] Gabrielle s'éprit d'un homme de lettres de quelque talent, F***, mais ce talent était d'une mince portée et d'un emploi à peu près nul, commercialement parlant. F*** ne possédait rien, et, de plus, il était phthisique. Madame Dorval voulut l'éloigner. Gabrielle, irritée, l'accusa de vouloir le lui enlever. [...] Madame Dorval jugea nécessaire de mettre Gabrielle au couvent. Un beau matin, Gabrielle disparut, enlevée par F***. [...]I1 emmena Gabrielle en Espagne, comme s'il eût craint que sa mère ne mît des gendarmes après elle, et ils essayèrent de se marier sans son consentement ; mais ils n'y réussirent pas et furent forcés de le demander dans des termes blessants. Le mariage consenti et conclu, ils demandèrent de l'argent. Madame Dorval donna tout ce qu'elle put donner. On trouva naturellement qu'elle n'en avait guère et on lui en fit un crime. Les jeunes époux, au lieu de chercher à travailler à Paris, partirent pour l'Angleterre, mangeant ainsi d'un coup, en voyages et en déplacements , le peu qu'ils possédaient. Avaient-ils l'espoir de se créer des occupations à Londres ? Cet espoir ne se réalisa pas. Gabrielle n'était pas artiste, [...] la beauté ne suffit pas sans le courage et l'intelligence. F***  tomba dans le découragement, et la phthisie fit d'effrayants progrès. Ce mal est contagieux entre mari et femme. Gabrielle en fut envahie et y succomba en quelques semaines, en proie à la misère et au désespoir. Le malheureux F*** y succomba peu après.

De son côté, Louise persiste à vouloir embrasser une carrière de comédienne, mais ne manifeste guère de talent. Elle trouve un engagement dans une troupe du Nord, puis au théâtre français de Londres en 1835. 

Béatrix Cenci

C'est avec Béatrix Cenci, de Custine que Marie Dorval retrouve la scène de la porte Saint-Martin en mai 1833
 La Revue des deux mondes "L'avenir de cette célèbre actrice semble d'une étendue difficile à mesurer, lorsqu'on calcule qu'elle a conquis de si bonne heure la première place dans le drame moderne [..] cet esprit vivant et jeune que rien ne décourage, ni l'insignifiance de tant de rôles qu'elle métamorphose et ressuscite par sa pantomime et son accent, ni l'inexplicable indifférence du théâtre qui la possède et la cache au public dont elle est aimée."
A l'occasion de cette pièce, au détour d'une lettre, une précision sur la façon dont Marie Dorval aborde ses rôles , pour l'occasion, elle lit un livre sur l'histoire de la Renaissance italienne.
Elle retrouve pour cette création son partenaire des débuts, Frédérick Lemaître (dans le rôle du père incestueux et infanticide)  et elle remporte un succès incontestable dans le rôle de Béatrix, la jeune victime qui tuera finalement son père.Mise à la torture, elle termine sur l'échafaud.
"Dorval fut belle, très belle, et réalisa au-delà de tout ce que l'on pouvait espérer l'idéal rêvé par l'auteur" dit son partenaire.
L'Artiste "Mme Dorval a été sublime. Il est impossible d'exprimer avec quelle passion, quelle puissance elle a joué ce rôle, où tout, exactement tout, était création pour elle. Nous ne savons personne qui puisse arriver à un pareil degré de perfection. [..elle est]la première actrice dramatique de Paris"
Custine "Par la manière dont MmeDorval a conçu le rôle long et fatigant dont elle s"est chargée, par la noblesse morale qu'elle a su mêler à la vive expression du désespoir et de la souffrance, elle a prouvé que l'actrice la plus originale que nous ayons peut aussi devenir la plus parfaite". 
En dépit (ou à cause ) de se succès, Harel retira la pièce de l'affiche au bout de trois représentations seulement... 
Dans la loge de Marie Dorval, par Gavarni, Custine pourrait être l'homme à ses côtés

Phèdre et Quitte pour la peur

Quelques jours plus tard, elle joue une représentation à son bénéfice à l'Opéra, elle y interprète la Phèdre de Pradon, et surtout Quitte pour la peur,écrit par Vigny (j'y reviendrai).
Cette soirée ne remporte pas un grand succès , le programme surprend le public qui n'attendait pas la comédienne dans ce genre de rôle, mais en juin 1833 prend fin son contrat avec le théâtre de la Porte-Saint-Martin et envisage alors d'aller jouer quelques représentations en province. C'est à l'occasion de cette tournée que nous sont parvenues de précieuses lettres échangées avec Vigny.
Elle joue dans le nord, à Bordeaux, mais aussi à Rouen, au Havre... où elle reçoit une proposition d'engagement de la comédie française

Marie Dorval à la Comédie Française ( le théâtre français) 

Jouslin de la Salle en était devenu directeur-gérant, et bien que sous le charme de Mlle Mars qui était la vedette du théâtre français, il appréciait Marie Dorval qui avait autrefois joué des pièces écrites par lui à la Porte-saint-Martin. Elle est donc engagé pour un an, pour jouer au théâtre français comme à l'Odéon.
Elle n'est pas accueillie à bras ouvert dans la maison. On lui fait sentir qu'elle n'a pas la même formation, n'étant pas issue du Conservatoire comme la plupart d'entre-eux, et que son étiquette "boulevard" ne correspond pas au style de l'endroit.  Les rivalités et intrigues de coulisses vont bon train. Marie Dorval a toujours refusé le principe des "riches protecteurs" entretenant les comédiennes, et elle n'a guère de soutien à l'intérieur de la Comédie française.

L'Artiste : "Il ne suffit point d'avoir accueilli Mme Dorval, si l'on ne doit point un jour placer à côté de cette admirable actrice des compagnons d'art qui soient de son temps, élevés comme elle, ayant puisé aux mêmes sources qu'elle. Seule, Mme Dorval est elle-même hors-ligne au Théâtre Français. Nul de ses camarades ne la comprend, il semble qu'elle parle une langue étrangère".

Comme son engagement le stipulait, elle devait débuter dans Antony,  la pièce est finalement interdite d'entrée au théâtre français et c'est dans Une liaison de Mazère et d'Empis qu'on lui fait faire ses débuts rue de Richelieu. Aucun succès pour cette pièce :
La gazette des théâtres "On ne dira pas qu'à son arrivée à la comédie-française Mme dorval a été gâtée".
Le temps "Mme dorval a montré son talent ordinaire. Mais on voit qu'elle a été frappée elle-même du peu de ressources que lui offrait son rôle".

Elle y reprend ensuite La mère et la fille, Henri III, La fausse Agnès et Misanthropie, rien qui ne suscite grand enthousiasme.
Le Foyer "Qu'est devenue Mme Dorval depuis qu'elle est pensionnaire ou sociétaire au Théâtre Français? Mme Dorval ne brillait-elle pas d'un plus vif éclat lorsqu'elle attirait tout Paris au boulevard?"

c'est alors que Vigny lui écrivit le fameux Chatterton sur lequel je reviendrai dans un autre article. Son contrat au français est alors renouvelé pour un an et commencera par les représentations de Lord Byron à Venise d'Ancelot où elle jouait le rôle de Margarita Cogni, une pièce dont le texte ne fut guère salué par la critique.
Le Corsaire "L'auteur de la pièce est Mr Ancelot, l'auteur du succès est Mme Dorval".
Le Figaro "Mme Dorval a découvert de très beaux élans de passion dans un rôle pour lequel l'auteur n'avait rien trouvé".
Charivari parle des "admirables inspirations" qu'elle a eues dans un "rôle insignifiant".

Deuxième partie des principaux rôles créés:

Angelo , Marie Dorval et Mlle Mars, 1835


Juste après cette fameuse création de Chatterton, pour laquelle on la couvrit de louanges ("une actrice de génie" pour Le foyer, "L'avenir du Théâtre français est dans Mme Dorval, car sans elle aujourd'hui aucun succès n'est plus possible" affirmait Art et Progrès), elle enchaîne avec celle d'Angelo, de Victor Hugo, qui va être, dans la presse, le moment fort de sa rivalité avec Mlle Hippolyte Mars; qui avait alors 56 ans,  contre 37 pour Marie Dorval. Et pourtant, s'il y a bien deux actrices à l'opposé, ce sont bien elles :

Mlle Mars et Mme Dorval parJules Janin
Mme Dorval, la femme du peuple, violente, emportée, passionnée, sans frein, sans loi, sans règle ; comédienne par hasard et par instinct, comme Mlle Mars est comédienne par la nature et par l'étude ; comédienne avec son coeur, comme Mlle Mars est comédienne avec son esprit ; Mme Dorval, le soutien délirant et déguenillé du drame moderne, comme Mlle Mars est la chaste et correcte interprète de la vieille comédie !
Et puis, pourquoi les comparer l'une à l'autre, ces deux femmes, je vous prie ? Qu'y a-t-il de commun entre Mlle Mars et Mme Dorval ? Ni le même visage, ni la même voix, ni le même maintien, ni le même sourire, ni le même regard, ni la même intelligence ! Rien de commun entre ces deux femmes !
Quand l'une élève la voix pour réciter les beaux vers de Molière et la très spirituelle prose de Marivaux, vous croiriez entendre le son argentin d'une duchesse de Louis XIV ou de Louis XV ; votre oreille attentive et charmée confond dans son admiration le poète et l'actrice ; vous vous sentez à l'aise avec cette femme qui parle si bien ; vous comprenez que vous êtes dans un salon de la meilleure compagnie ; vous êtes le maître d'un noble plaisir.
Quand l'autre parle et que vous entendez cette voix, qui est d'abord un soupir voilé, puis un sanglot terrible, réciter une prose souvent barbare et sanglante, vous frémissez malgré vous.
Vous vous demandez en tremblant dans quelle horrible maison vous êtes entré sans le savoir. Qui parle là-bas ? Quelle est cette voix rauque, perdue, voilée, usée, fatiguée, pénible, et si puissante pourtant ? C'est la passion de la rue, c'est l'amour de l'alcôve bourgeoise, c'est l'adultère en prose, c'est le désespoir de toutes les femmes, c'est Mme Dorval.
Marie Dorval

Cette opposition, c'est la querelle des anciens et des modernes revisités, la tragédie contre le drame, la technique contre le sentiment, et chacune va avoir ses fervents supporters, un Vaudeville reprit même cette bataille entre les marsistes et les dorvalistes, preuve de ce que suscitait ces deux actrices.

Le livre Mlle Mars et Marie Dorval revient à la genèse de cette rivalité, qui date en fait du grand-père de Marie Dorval et de Monvel, le père de Mlle Mars :

Au moment de la distribution des deux rôles féminins de la pièce, rebondissement... Mlle Mars revendique le rôle de Tisbé, la courtisane aimée du tyran, sensuelle et tendre qui aurait dû revenir Marie, lui abandonnant le rôle qui aurait dû être le sien ; Catarina,  l'épouse patricienne.
Marie Dorval Catarina
La confrontation des deux comédiennes les plus brillantes de leur temps attira les foules d'avril à juillet 1835.
ce que dit Hugo :
costume de Marie Dorval (Catarina)


Par la suite, Marie Dorval reprit avec succès le rôle de Tisbé. 
 Le monde dramatique:
 


















La revue du théâtre : 
Après Angelo, le contrat de Marie Doral fut prolongé pour une troisième année à la Comédie Française, elle y joua Une famille au temps de Luther, y repris Chatterton et Les enfants d'Edouard. Mais visiblement, Marie Dorval ne trouve pas sa place au français, on ne lui propose pas de rôles, ses soucis financiers ne se règlent pas, et elle décide d'aller de plus en plus chercher représentations et donc rentrées d'argent en province. 

Les tournées en province

Marie Dorval entreprend en 1836 et 1837 une longue tournée en province, pour tenter de faire face à ses difficultés financières, renforcées par des soucis avec ses filles aînées. Pendant cette tournée (comme pendant celle de 1833 et de nombreuses autres circonstances pour un total de plus d'une centaine de lettres retrouvées) , elle entretient une correspondance passionnée avec Vigny, qui l'avait accompagnée en juin 1836 jusqu'à Villeneuve-Saint-Georges, où ils passeront une nuit que Marie Dorval rappellera souvent dans sa correspondance ainsi que la dernière étoile à l'aube qu'elle appellera la Marie-Alfred "jamais je ne t'avais vu plus aimant et plus tendre. Cette impression d'amour que tu m'as laissée me fait du bien, m'encourage et me console. Soit toujours mon amant comme tu l'étais hier et je ne comprendrai pas de bonheur plus grand dans la vie. Tâche de retrouver la petite étoile de la rivière, tu l'appelleras Marie-Alfred. Je t'ai juré devant elle de t'aimer toujours et de t'être fidèle, je crois bien que tu m'as fait le même serment".

Au delà des aléas de la passion, où l'éloignement renforce la jalousie, des difficultés aussi avec son mari, ses filles, évoquées aussi dans cette correspondance, ces lettres sont un témoignage précieux des spécificités des tournées de l'époque.

Marie Dorval effectue cette tournée seule, elle part uniquement avec son cocher et sa femme de chambre, et dans chaque théâtre où elle joue ses grands rôles (Chatterton, qui recevra à Toulouse un triomphe mémorable, Antony...) recrute des acteurs locaux pour lui servir de partenaire, avec plus ou moins de réussite. C'est elle qui s'occupe aussi bien de régler la mise en scène, les décors, la musique, que de compter la caisse. 
Cette tournée n'est pas organisée à l'avance, elle se dessine au fur et à mesure des différentes villes où elle passe, ainsi, elle qui devait partir trois mois , fut finalement absente une année entière de Paris.
Lettre à Vigny qui lui demande de lui raconter ses journées, de Reims, samedi 30 mars1833, 1 heure du matin : "Voici ma vie de tous les jours. Je me réveille de très grand matin, j'étudie, j'écris mes lettres. Je pars avec ma femme de chambre à 11 heures pour la répétition. Ce matin, j'ai répété : L'incendiaire, La femme en colère, et Antony. Je mets tout le monde en scène et je règle les décors. Et on compose la musique séance tenante d'après mes indications. Je te demande si je dis des paroles! [elle évoque dans d'autres lettres des fatigues vocales,  des fumigation de sureau pour se défatiguer la voix] A près de 4 h, je rentre, je dîne vite. Je fais mes caisses pour le soir et je joue deux pièces. A 11 h, je fais mes comptes de la recette avec le directeur et sa femme, nous faisons des paquets de contremarques jusqu'à minuit. Je rentre avec ma femme de chambre et un garçon du théâtre qui marche devant nous avec une grande lanterne. Je soupe et je t'écris. Et toujours, toujous ainsi. Sans jamais voir âme qui vive chez moi. Quand à mes succès, ceux que tu m'as vu à Paris, ne peuvent pas te donner une idée de la frénésie de ces braves Champenois. J'ai joué ce soir l'Incendiaire, jamais je n'ai vu chose pareille. Ils ont crié, pleuré. Enfin, je suis bien obligée de te dire que c'est une rage".

Ces tournées font de Marie Dorval un vecteur important de diffusion du romantisme en province;
Lettre à Vigny de Rouen, août 1833 " Ils veulent rester dans l'émotion du drame [..] J'ai fait ici une belle révolution, et ils vont devenir des romantiques enragés."

Le docteur Guépin, une figure du socialisme en Bretagne a été conquis par son jeu "Elle est l'artiste des masses, le mandataire des femmes, elle a [...] une mission  à remplir [...] est l'artiste révolutionnaire par excellence". 
Je reviendrai sur son rôle dans la diffusion du drame romantique dans un prochain article autour de Kitty Bell.

Si elle triomphe par exemple à Marseille (engagée pour 6 représentations, elle en donne finalement 22) ou particulièrement dans le Sud,  le roi de Naples diffère son départ pour l'entendre à Toulon dans Angelo par exemple, l'accueil n'est pas toujours aussi enthousiaste, ainsi en juin à Chalon-sur-Saône, entre la concurrence de la foire, les difficultés avec les acteurs locaux  "j'ai répété toute la journée Chatteron, et je te demande pardon de cette profanation, c'en est une!" , l'argent qui ne rentre pas, et les nouvelles inquiétantes en provenance de sa fille, l'étape ne laissera pas les mêmes souvenirs.
Mais Chatterton remportera tout de même un joli succès à Chalon comme elle l'écrit quelques jours plus tard : "L'impression de ton ouvrage a été telle que je la pouvais désirer. Toutes les femmes pleuraient, le rôle de Chatterton a été bien senti et pas trop mal joué, j'avais mon quaker de Dunkerque (sans progrès).". 

L'habitude est effet de jouer  deux pièces différentes par soir, ainsi cette annonce pour une soirée à Nantes:
A Marseille, en 1836, elle profite de cette tournée pour jouer le rôle muet de Fénella, dans l'opéra d'Auber, la Muette de Portici, elle le reprendra en décembre à Lyon :

Le séjour de la grande comédienne s'est prolongé à l'extrême satisfaction du publie. Mad. Dorval, avec un répertoire assez borné, a vu la foule s'augmenter chaque jour et la verrait s'accroître encore s'il lui restait quelque temps à nous consacrer. Tant a de puissance le vrai talent, qui n'est outre chose que l'assemblage de la passion et de la vérité. Comme elle le prouve dans Clolihle , Antony. Chatterton, Henri III et sa cour, Angélo,  Clolilde, Mad.d'Herrey, Kitty- Bell, Mad. deGuise, la Tisbé,Caiarina, quelles belles et imposantes, quelles touchantes et dramatiques figures, sons les traits de Mad. Dorval !... Elle est toujours le personnage, |
elle est toujours elle-même, et pointant elle est toujours, nouvelle. — Mais quel prodige plus grand encore daus celle tendre et infortunée Fenella, qui était du domaine des danseuses, et que Mad Dorval vient de transporter dans le domaine d'une excellente actrice! La douleur, les regrets, l'amour, la jalousie, la générosité, la tendresse fraternelle, l'orgueil et* le désespoir,- Ions ces sentimens si prompts, si divers-, si opposés, SJ peignent, s'effacent et renaissent a vec une Incroyable expression, Javeo une rare soudaineté , dans . tous les gestes comme dansions les traits de sa mobile phy siononlie, quiparle aussi bien queponrrail le fairesa bouche. En vérité, la Muette de Poriici a été pour elle un double triomphe, puisqu'à l'immense et légitime succès qu'elle y a obtenu, aux couronnes et aux vers qu'on lui a prodigués , est venue se joindre encore la douce satisfaction d'un bienfait ; la part qui lui revenait dans celte, représentalion étant consacrée à un artiste dont elle s'est montrée glorieuse d'améliorer le sort : Le coeur marclie toujours à l'ombre du Génie.


L'ombre des soucis financiers et familiaux plane sans cesse sur cette tournée, les nouvelles reçues de ses filles sont particulièrement sombres. Louise, enceinte, a choisi d'avorter "Louise est un monstre qui a attaché à mes pas un fantôme qui ne me quittera plus", quant à la santé de Gabrielle, elle se dégrade rapidement. Heureusement, Caroline la cadette l'accompagne et lui apporte les seules consolations de cette période noire de sa vie.
A Vigny "Le succès que tu sais, des acteurs exécrables, des répétitions odieuses, de la fatigue, ka vie d'auberge et le désordre de toute chose autour de moi. Des gens stupides qui me répètent exactement dans une ville ce que l'on vient de me dire dans l'autre, des figures pour moi sans nom, une lanterne magique qui passe et repasse devant les yeux. [...]quel vide dans tout cela . Puis toujours des chagrins de Paris, une correspondance de chiffres, des envois d'argent dont on n'est jamais satisfait, des nouvelles affreuses de mes pauvres filles." 
C'est pendant cette tournée que sa fille Gabrielle s’éteint à 21 ans, en 1837, de la tuberculose.  Ses proches choisissent de taire cette disparition à Marie, qui ne l'apprendra qu'à son retour à Paris, deux mois plus tard. C'est Vigny qui lui annoncera ce drame.

Marie Dorval dans le rôle de Kitty Bell,
par Jacques Arago,1835

Pendant sa longue tournée, d'autres actrices se sont révélées, et occupent désormais le premier plan. Marie Dorval peine à trouver de nouveaux engagements, et reprend souvent la route de la province, tandis que Vigny s'éloigne d'elle, d'abord suite à la mort de sa mère, puis au profit des soeurs Dupré. De son côté, elle se rapproche de Sandeau, l'ancien amant de George Sand. C'est à cette époque où la famille quitte la rive droite pour s'installer rue du Bac. Marie Dorval se lie alors d'amitié avec Olympe Chodzko.

Hernani

En 1838, elle reprend avec succès le rôle de Dona Sol dans Hernani, au Théâtre Français, rôle tenu à la création par Mlle Mars, et comme dans Tisbé, c'est un triomphe pour elle.
Revue du théâtre:
Pour Victor Hugo, cette reprise marque la vraie création d'Hernani et il fait de Marie Dorval la comédienne par excellence du romantisme.
L'artiste signale qu'elle avait particulièrement soigné son costume , en s'inspirant "d'un tableau de Goya qui représentait la duchesse d'Albe".

Elle reprend en parallèle Marion Delorme, également au Théâtre Français, avec le même succès.
L'artiste " Son rôle lui convenait à merveille. Elle l'a rempli merveilleusement".

Elle joue ensuite à l'Odéon Le camp des croisés et Les suites d'une faute. 

Son contrat avec le théâtre français se terminait le 30 juin 1838, il ne fut pas renouvelé, elle y joua une dernière fois Hernani le 28 et Marion Delorme le 30. 
La Quotidienne "c'est toujours un tort de la laisser partir [...] si on avait encouragé les désirs qu'elle n'a pas cessé de témoigner [....] de jouer quelques grands rôles du répertoire tragique [...] et du répertoire de drame".

Le Gymnase et les tournées

Engagée au Gymnase, en même temps que Bocage, si financièrement, les choses s'arrangent, les rôles proposés ne sont guère enthousiasmant. Elle y joue dans La Belle soeur de Duport et Laurencin. George Sand était présente pour la première, et même ma Gazette des théâtres, plus favorable au théâtre français qu'au gymnase notait qu'elle avait "assez d'inspiration pour rappeler le meilleur temps de sa réputation".
Ce sera ensuite l'orage de Laurencin et y reçoit un accueil favorable. Janin "de cette piécette, Madame Dorval a fait un drame plein de passions, d'angoisses et de larmes. Elle a donné un sens aux mots qui n'en avaient pas et changé en cris de l'âme les phrases les plus insignifiantes."
C'est à la fin de l'été que la rupture avec Vigny est définitive. Elle joue alors Henri Hamlin de Souvestre, qui marque le contrepied du romantisme. 
Elle repart pour un eu plus de 5 mois de tournée d'octobre à mars 1839 (Nantes, Metz, l'est puis Fontainebleau, avant l'ouest et la Loire, Rennes, Angers, Nantes, Saumur ...), tandis qu' Paris, une débutante commence à faire beaucoup parler d'elle : Rachel.
Marie Dorval revient  au Gymnase. Elle joue ensuite plusieurs pièces peu marquantes, telles " La maitresse et le fiancée" drame en 2 actes / texte d'Emile Souvestre ; avec Marie Dorval (Caroline Allard), Hippolyte Tisserant (André Bernier), Madame Julienne (Madame Moirot) Théâtre du Gymnase (Delestre-Poirson, Max Cerfberr),mai 1839, ou encore Un ménage parisien.

Le proscrit, Cosima... et de nouvelles tournées

L'année suivante, en novembre 1839 elle débute à la Renaissance, salle Ventadour nouvellement ouverte sous la direction d Anténor Joly.
 Un beau triomphe l'y attendait dans le Proscrit : drame en 5 actes  de Frédéric Soulié et Timothée Dehay ; avec Guyon dans le rôle de Georges Bernard, Montdidier dans celui d'Arthur d'Avarenne et Madame Dorval dans celui de Louise Dubourg
Théâtre de la Renaissance (Anténor Joly), 1839-11-07
Marie Dorval Louise

Coupy cite à ce propos Th Gautier et J Janin "Marie Dorval est sortie radieuse de son tombeau du Gymnase. Elle même semblait douter qu'elle fût vivante encore et n'osait plus espérer de soulever l'avalanche de vaudevilles qui pesait sur elle en manière de pierre funèbre. Elle s'est retrouvée tout entière et , sans coup férir,  elle est rentrée en possession d'elle même. C'est la Dorval de Pablo, du Joueur,  de l'Incendiaire,  d'Antony, de Marion  Delorme et d'Angelo , la vraie Dorval enfin,  la plus grande passion tragique de l'époque,  la digne émule de Fredérick avec qui elle forme un couple dramatique assorti que l'on ne devrait jamais désunir . Voilà ce que nous avons revu l'autre soir au théâtre de la Renaissance.  Nous qui pleurions notre sublime actrice à jamais perdue,  quelle n'a pas été notre joie en assistant à cette résurrection inespérée.  On jouait une pièce de Frédéric Soulié (...] Mme Dorval pût y remuer à l'aise avec ses allures rapides et ses bonds de lionne.  Quelques situations fortes, quelques soupirs d'angoisse, quelques exclamations insignifiantes qui deviennent de magnifiques révélations de l' âme,  il ne lui en faut pas plus pour se composer un rôle admirable . [...] Mme Dorval avait déjà captivé et dompté la salle des journalistes excédés,  des dandies haut montés sur cravate,  des actrices envieuses,  des grandes dames qui ne regardent qu'elles mêmes,  le public le plus dédaigneux et le plus difficile que l'on puisse imaginer . [...] C'est là le talent de Mme Dorval.  Elle se plaît dans les périls,  elle aime les difficuttés les plus étranges,  elle se joue avec le danger,  l'obstacle,  elle le brise,  l'abîme,  elle le franchit,  l'impossible,  elle le rend vraisemblable,  l'absurde,  elle y fait croire et tous ces miracles à force de passions,  de cris, de plaintes , de touchants délires , à force de rage et de douleur.  [...] la passion de Mme Dorval est inépuisable Allez la voir cette femme délivrée de ses liens , cette lionne lâchée dans son domaine,  cette affranchie de la petite comédie du Gymnase et vous comprendrez la puissance de cette femme On dit que le Théâtre Français qui a laissée partir cette femme sans laquelle le drame n'est pas possible,  la retrouvant ainsi faite,  l'a voulu ravoir sur le champ,  à l'instant même. [il s'agit du projet de création de Cosima]

George Sand lui écrit à cette occasion "Si j'étais le Grand turc, je vous enverrais une ile de l'archipel tout en fleurs pour vous témoigner ma joie et mon bonheur de la manière dont vous avez joué hier soir". 

Ce succès lui rouvre les portes du Théâtre français, avec la création de Cosima et la reprise de Chatterton. Vigny assiste à la reprise à la Comédie-française et confie dans une lettre à Pauline Duchambge à propos de Marie dont il est séparé "Son beau et unique talent a grandi encore, par quelque chose de plus posé, de plus maître de soi dans quelques scènes, de plus fin et ingénieux dans d'autres."

Elle collabore à l'écriture de la pièce Cosima de George Sand, créé le  29 avril 1840 à la comédie française. L'accueil en coulisses, puis  de la part du public n'est guère favorable.«J'ai été huée et sifflée comme je m'y attendais. Chaque mot approuvé et aimé de toi et de mes amis a soulevé des éclats de rire et des tempêtes d'indignation. On criait sur tous les bancs que la pièce était immorale, et il n'est pas sûr que le gouvernement ne la défende pas. Les acteurs, déconcertés par ce mauvais accueil, avaient perdu la boule et jouaient tout de travers. Enfin, la pièce a été jusqu'au bout, très attaquée et très défendue, très applaudie et très sifflée." écrit George Sand qui retirera la pièce de la scène au bout de sept représentations seulement.
 Elle a joué Cosima dit Gauthier avec une grâce parfaite un grand naturel et une délicatesse de nuances qui aurait mérité un public moins turbulent . Il y avait encore là , comme naguères dans l'Incendiaire une scène de confession qu'elle jouait à ravir.
Article spécifique Cosima George Sand 

Marie Dorval reprit ensuite pour quelques représentations La Maréchale d'Ancre ,Vigny avait apporté son concours aux répétitions, avant de repartir sur les routes pour une nouvelle tournée dans le sud de la France puis à Lyon, Saint-Etienne...

A Paris, le temps du drame romantique semble définitivement révolu.

Le théâtre de la Porte-Saint-Martin a fait faillite, et change de direction, celui de la Renaissance a fermé, Rachel triomphait à la comédie française, et même si l'on reconnait ses talents de comédienne (Le Censeur "votre talent est incontestable et restera comme celui d'une artiste éminemment originale"), il ne restait plus à Marie Dorval qu'à reprendre une nouvelle fois la route, pour Amsterdam et les grandes villes de Belgique cette fois.

 Elle rencontre à Bruxelles l'acteur Réné Luguet, petit-fils de la Malaga, célèbre danseuse de corde.
Caroline, la fille cadette de Marie Dorval  était alors institutrice dans une famille de Preston où sa mère ira la rejoindre pour quelques jours en juillet 1841.
La tournée continue en France à Dieppe, Saint-Omer, elle y joue Angelo, Clotilde, Louise de Lignerolles, à Niort, Limoges, Poitiers.... Luguet l'y a suivie et lui donne la réplique.Après un bref retour à Paris, sans perspective de nouveaux engagements, ils repartent donner quelques représentations à Amiens, puis en janvier 1842 en Hollande puis au retour fin février à Colmar , Strasbourg et Mulhouse. A son retour, Marie Dorval fait engager Luguet au Gymnase tandis qu'elle repart seule pour des représentations en France-Comté. Caroline rentre ensuite en France, fait la connaissance de Luguet et l'épouse fin 1842.

De son côté, Marie Dorval renoue avec les scènes parisiennes, Elle reprend une nouvelle fois son grand succès Trente ans ou la Vie d'un joueur avec Frédérick Lemaître pour quelques dates à la Porte-Saint-Martin, puis à l'Odéon, Antony, avec Bocage, sans retrouver le succès d’antan. Les drames d'Hugo et de Dumas ne font plus recette, son ancien répertoire n'a plus de perspective à Paris, il lui faut élargir son domaine. Elle s’essaya au répertoire classique et joua le rôle de Phèdre , puis celui d'Hermione dans Andromaque, sans y trouver aux yeux du public le même triomphe que Rachel dont la carrière commence à prendre un essor incroyable...
Le succès devait revenir avec : 



La main droite et la main gauche 

 La main droite et la main gauche  : drame en 5 actes / texte de Léon Gozlan ; avec Marie Dorval (Rodolphine), Bocage (Major Palmer), Saint-Léon (Prince Hermann)
  Odéon-Théâtre de l'Europe (Auguste Lireux), décembre 1842
Marie Dorval Rodolphine
L'amour maternel, un rôle qui trouve en Marie Dorval une interprète parfaite.
Gozlan lui-même reconnait que si sa pièce a eu du succès, c'est grâce à elle :  "  Vous aviez ce soir là votre célébrité à imposer dans un rôle nouveau,  dans un genre de rôle nouveau [...] Je vous vois encore rentrer précipitamment dans votre loge après le succès foudroyant que vous veniez d'avoir au quatrième acte de la Main Droite et la Main Gauche,  succès dont on n'avait  pas d'exemple et qui probablement ne se renouvellera plus pour aucune actrice. Trois domestiques du théâtre vous suivaient les bras chargés de bouquets,  vous souriez , vous frémissiez,  vous pleuriez encore . Le rôle de Rodolphine dans la Main Droite et la Main Gauche restera comme une de vos plus belles créations et c'est tout ce qui restera de la pièce entière, j'en ai peur. Les heureux qui vous ont vue [...] n'oublieront jamais vos craintes,  vos coquetteries,  vos impatiences, vos douleurs, vos frémissements, vos cris de mère.  Pourquoi ne l'ai je pas écrit comme vous l'avez joué,  mais qui peut écrire ainsi? On comprend pourquoi aux représentations qui suivent les premières, vous êtes plus calme, plus maîtresse de vous même, toujours bonne actrice, mais moins esclave de votre organisation Vous vous identifiez si bien alors avec votre rôle, pour la simplicité et le naturel, qu'il vous arrive parfois d'oublier les exigences importunes d'un public qui ne vous oublie jamais lui .

TH Gauthier " Bocage et Mme Dorval se retrouvaient là sur leur véritable terrain .Quelque talent que Bocage ait pu déployer au Gymnase,  quelque intelligence que Mme Dorval ait pu montrer dans ses excursions tragiques,  ni le vaudeville ni la tragédie,  ne sont leur fait. Ce sont tous les deux des acteurs essentiellement modernes, des talents fougueux ,excentriques, inégaux, tantôt le pied dans la réalité la plus triviale, tantôt le front dans le nuage de la plus haute rêverie, pleins de cris et d'éclairs soudains, mêlant le sarcasme à la passion, faisant frémir avec un accent de comédie et lançant les mots les plus terribles, absolument comme vous et moi nous les dirions dans une situation pareille.  Aussi il fallait voir quelle aisance parfaite , quel aplomb consommé, quelle puissance dominatrice avait Bocage dans ce rôle, fait pour lui . Jamais peut-être Mme Dorval ne s'est élevée si haut, jamais une pluie de bouquets si épaisse n'est tombée sur une actrice, il semblait que le public dans sa cruauté d'admiration voulût l'ensevelir sous les fleurs comme Néron faisait de ses convives . C'étaient des cris et des trépignements à n'en plus finir. L'amour maternel ne saurait trouver d'accents plus pathétiques,  plus touchants et plus vrais,  c'est le cœur tout entier qui jaillit dans un mot,  c'est tout un monde d'angoisses et de douleurs, révélé par une simple inflexion de voix .  Les critiques eux mêmes, si secs d'habitude, ont trempé de larmes les verres de leurs lorgnettes.

Le Corsaire [Marie Dorval] s'est acquittée de son rôle de mère avec une supériorité sans égale. [..] Emue, passionnée, pathétique, entraînante, elle a constamment dominé son auditoire sans fléchir un seul instant, tous ses gestes, tous ses mouvements, toutes ses paroles ont été marquées du coin de l'intelligence la plus vive et du sentiment poétique le plus profond."

Marie Dorval refuse alors une proposition de la comédie Française (pour les Burgraves d'Hugo), pour continuer à jouer cette pièce à l'Odéon, en alternance avec Phèdre, Andromaque et le Mariage de Figaro.


Cet article étant déjà bien long, j'en consacrerai un prochain à la dernière partie de la vie de Marie Dorval!
Mise à jour, les 4 articles biographiques

 Marie Dorval 1 les débuts

Marie Dorval 2 vers 1830, premiers succès et entourage:  Vigny Sand

Marie Dorval 3 les années 1830-1840, la comédie française, les tournées en province, Angelo, Hernani, Cosima...

Marie Dorval 4, après 1843, les derniers rôles, la famille, les dernières tournées, la fin de sa vie


mise à jour:

Marie Dorval dans Kitty Bell de Chatterton , drame romantique d'Alfred de Vigny, de la comédie française aux tournées en province
Quitte pour la peur de Vigny avec Marie Dorval-1833

 
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